Il peut exister d’autres façons d’imaginer le cyberspace, non pas comme un lieu né de la cupidité, de la peur et de la faim, mais plutôt comme un lieu de nourrissement. Un lieu où les gens peuvent trouver leurs propres rêves. Pas seulement des fantasmes de fuite, mais des rêves d’humanité et de façons de préserver le territoire. ¹ (traduction libre)
― Loretta Todd
En 1998, Mark Bernstein lançait Hypertext Gardens ², posant les bases du concept de « jardin numérique » ou « digital garden » : un espace en ligne où l’on peut s’aventurer librement, comme dans un parc ou un jardin, un lieu qui invite à la métamorphose, à l’errance, à l’exploration et à la réflexion. ³
Aujourd’hui, en 2025, le Web, tout en jouant un rôle central dans l’organisation du monde, est de plus en plus façonné et déformé par des forces capitalistes, coloniales et extractivistes. Les structures technologiques sous-jacentes en sont les témoins et les instruments, influençant tant la manière dont nous communiquons que la manière dont nous consommons.
Pourtant, le Web demeure un médium indiscipliné, un terrain malléable où réside un potentiel subversif. Pour la chercheuse Linda Leung, ce potentiel émerge de la convergence entre production et consommation : le·la producteur·trice est aussi consommateur·trice, et vice-versa — bien que ces pratiques mobilisent des compétences numériques inégales ⁴. Chaque acte de navigation devient alors profondément situé : influencé par l’intention, l’humeur, la littératie, la classe sociale ou l’héritage culturel, etc. Selon Leung, utiliser le Web, c’est déjà le façonner. C’est un lieu d’interaction et de co-création, où réel et virtuel s’entrelacent.
Ici, Galerie Galerie, plateforme d’art en ligne à but non lucratif basée à Tio’tia:ke/Mooniyang/Montréal, vous invite à découvrir et à errer dans son propre jardin : le Jardin Manifesto Garden. Ce projet hypermédiatique, conçu comme un manifeste-outil, se déploie à la fois comme une ligne éditoriale, un espace critique, un terrain de jeu et une incitation à l’exploration. Il est micro refuge où est cultivé un Web plus calme, plus organique et plus expérimental, loin des impératifs de rapidité, de captation, de performance et de rentabilité qui dominent les mégaplateformes. Ici, Galerie Galerie revendique une posture résolument positive envers la technologie, tout en reconnaissant ses racines violentes. Car l’Internet, issu de logiques militaires et coloniales, porte encore les traces de ces origines : pollution numérique, chaînes d’approvisionnement opaques, exploitation des corps et des ressources (#Congo). Face à ces systèmes de domination encore à l’œuvre, cultiver des alternatives devient une forme de résistance.
Créé en collaboration avec l’artiste Wawa Li, le Jardin Manifesto Garden de Galerie Galerie se matérialise sous la forme d’un site web artistique bilingue. Il est composé de quatre axes distincts, qui tissent des liens entre des sources existantes et des créations nouvelles réalisées par des collaborateur·trices sur demande. Il favorise le mélange des idées, des pratiques, et des sensibilités, tout en proposant un espace organique et ludique, propice à la déambulation et à l’apprentissage. C’est un lieu qui se veut vivant et évolutif, destiné à semer des alternatives et à encourager la pensée divergente.
La « mort » du Web a été proclamée à plusieurs reprises. En 2013, l’artiste Hito Steyerl se posait la question : Is the internet dead? ⁵. Une interrogation qu’elle disait littérale, non métaphorique. Que reste-t-il du Web une fois que sa promesse d’émancipation s’estompe?
Nous croyons qu’il demeure un lieu d’invention critique, d’expression poétique et de création. Et c’est là, précisément, que nous faisons germer notre jardin.
Flânez dans le jardin et SIOUPLAIT, tombez dans le trou du lapin!
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¹ Todd, Loretta. « Aboriginal Narratives in Cyberspace ». Dans Transference, Technology, Tradition: Native New Media, sous la direction de Claxton, Dana, Candice Hopkins, Steven Loft et Melanie Townsend, Banff, Alberta, Canada : Walter Phillips Gallery Editions, 2005, p.152–163.
² Bernstein, Mark. https://www.eastgate.com/garden/, 1998.
³ Pour en savoir plus sur les jardins numériques : Appleton, Maggie. A Brief History & Ethos of the Digital Garden. https://maggieappleton.com/garden-history, 2020.
⁴ Leung, Linda. Virtual Ethnicity: Race, Resistance and the World Wide Web. Londres : Angleterre : Routhledge, 2017.
⁵ Steyerl, Hito. « Too Much World: Is the Internet Dead? ». e-flux, no 49, 2013.
⁶ Appleton, Maggie. A Brief History & Ethos of the Digital Garden. https://maggieappleton.com/garden-history, 2020.
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Pour sélectionner les sources ici partagées, Galerie Galerie a choisi de s’appuyer sur sa communauté et de prendre en compte les enjeux spécifiques liés à sa situation géopolitique. Nous sommes conscientes que ce processus de sélection peut comporter des biais, façonnés par le contexte dans lequel nous évoluons.
Comme le souligne Maggie Appleton, « […] le savoir et les néologismes vivent toujours au sein des communautés »⁶. Ce jardin est un espace de contribution collective, où chacun·e peut nourrir la conversation, à sa manière.
Si vous souhaitez contribuer à l’enrichissement du Jardin Manifesto Garden, n’hésitez pas à partager vos sources préférées ou vos idées à l’adresse info@galeriegalerieweb.com.
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Ce projet est rendu possible grâce au soutien du Conseil des arts de Montréal.